9 avril 2014

DAFT PUNK'S ELECTROMA EST UNE PHOTOGRAPHIE !

Les robots français aiment le cinéma. Un cinéma : celui qui a diffusé chaque samedi Daft Punk's Electroma, à minuit pendant un an. ''Cinematographer'' pour l'heure, Thomas Bangalter a filmé Electroma dans un esprit de photographe, entre plans séquences et panoramas de malade où l'on prend le temps de regarder le décor. La conception sans dialogues l'éloigne des habitudes françaises, mais il demeure l'aspect dramatique : deux robots partent en quête d'humanité. Ayant d'abord collaboré avec de grands réalisateurs (Spike Jonze, Michel Gondry...), Daft Punk a eu envie « d'expérimenter le pouvoir des images, comme en peinture », créant par exemple une boîte de production en 2005, Daft Arts (sur les vidéos de Robot Rock et Technologic particulièrement), puis en présentant Daft Punk's Electroma au festival de Cannes 2006, sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs. Voici deux plans de ce voyage esthétique de 74 minutes.

D'autres image sur mon album pinterest!



Daft Arts, 2006 Daft Punk's Electroma

LE ROAD MOVIE :

La première partie du film se passe dans le désert californien à bord d'un coupé mythique, mais ici noir et sans écussons. Ciel bleu, sol jaune, macadam gris. La plaque d'immatriculation ''Human'' est un clin d'oeil à l'album Human After All sorti un an plus tôt. Nous découvrons la voiture de profil puis de face, dans deux plans fixes au silence absolu. Deux hommes casqués et en cuir noir ouvrent les portières et s'installent. Noir. Générique sur des flammes en gros plan. Noir. La route défile. A bord ils sont immuables, mutiques, presque immobiles. Le champ de vision étroit montre les abords de la route à travers le pare brise. La caméra depuis le siège arrière semble ne pas exister. Ce n'est pas le spectateur, ce n'est personne. Quand bien même nous serions avec eux, installés entre les deux sièges à regarder la route, ils ne considèreraient pas notre présence. On discerne à peine le ronflement du moteur, la macadam glisse, une bande blanche sert de rails.

Lorsqu'enfin nous les suivons depuis une route parallèle, un bruit vibre dans le bas côté ; obstrué par un talus, le travelling devient musical. Deux rapides plans de caméra montrent les deux robots depuis le capot puis grâce à la musique, la voiture semble aller plus vite. International Feel, scande la chanson. Et pour cause, il ne se prononcera pas un mot de tout le voyage, ni de tout le film. Thomas Bangalter disait à ce propos : « À Cannes, ils y avait des gens de tous les pays du monde, et sans dialogue ni sous-titres, on avait cette impression que tout le monde était ensemble dans cette même fiction » (Chris Hatherill, itw, Dazed, 07-2007). La route défile en continu ; de longs plans séquence permettent d'admirer le désert américain dans lequel la voiture n'a aucune aura en elle-même. Encore une fois, pas de logo, un moteur muet, pas de virages. La grue servant à la poursuite filme de haut comme dans un jeu vidéo, plaçant la voiture au centre de l'image. Quelque soit sa forme ou sa couleur, elle ne devient qu'un prétexte au jeu et à l'aventure.

On pense à tout un pan de l'histoire du cinéma indé avec cette introduction : un véhicule avance, un décor défile, deux personnages espèrent trouver quelque chose (d'ontologique) à l'autre bout du chemin, qui en principe va tout droit depuis nul part jusqu'à ce qu'on ne les arrête... Macadam à deux voies, Easy Rider, Stone, Duel, Paris-Texas, Gerry, Into The Wild... Le road movie est un style plutôt hermétique dans ce qu'il a à mettre en avant des routes, des paysages, des véhicules comme des personnage. Il faut aimer la route un minimum... Mais ici le sentiment est différent : le moteur reste au même régime, d'ailleurs on ne l'entend pas. Les deux robots ne parlent pas. La musique devient l'élément central de la composition. Les paroles des chansons correspondent à ce qu'on voit. Le but ? Leur quête d'humanité. Comment ? Aucune réponse il faut avancer. Alors quand ils arrivent en ville, on se dit : « c'est forcément La ville » qui est au bout de leur chemin. (Son vrai nom est Independence, dans le comté d'Inyo-CA).




Daft Arts, 2006 Daft Punk's Electroma

LA FUITE :

Les voici passés par ce laboratoire blanc où tout s'efface. Dans leur quête d'humanité, ils sont persuadés que leurs nouveaux masques d'êtres humains suffiront à accomplir leur dessein. De même que pour deux DJ qui se réfugieraient sous des casques à LED, rétorquantHuman After All. La population de la ville ne l'entend pas de cet œil et les chasse, sous un soleil de plomb qui fini de les punir en liquéfiant leurs peaux synthétiques.
Venus en voiture, chassés et aveuglés dans une ambiance de martyrs, contraints de fuir à pied, ils marchent. Dans un road movie, perdre son véhicule c'est se perdre tout court. La nuit tombe, le jour point. Aucune différence pour eux. Ce n'est pas la fatigue qui menace les robots mais un autre état humain : l'abattement. Tout autant qu'ils marchent côté à côte, la caméra avance collée à eux. On y est presque, dans leur monde. On voit le sol défiler dans le coin de l'image, l'horizon demeure à l'autre bout du monde.
Puis vient le premier panorama, une ligne de sable qui ne représente pas le sixième de la hauteur, et du ciel étalé. On peut remarquer des nuances dans le sable, parfois plus rouge ou plus jaune : l'heure et la température ont un impact sur les pellicules Kodak Vision : un soleil caché par l'horizon donne une atmosphère plus bleu, entre autres.
Contrairement au tout début du film où la même paroi de roche est filmée par six plans qui s'éloignent, la fin alterne entre proximité (craquelures du sol, reflets du soleil, des casques et du cuir) et horizon (immensité écrasant nos deux héros insignifiants). Et dans les ultimes plans au milieu du désert, à genoux avec le robot, on y est enfin, on est minuscule, face à face et on se regarde...



Me replonger dans Daft Punk's Electroma a surtout été l'occasion de me laisser couler dans des heures de clips, d'interviews, de live et d'albums du duo. Au milieu de tous ces souvenirs il y a ce long métrage qui m'électrise depuis sa sortie par sa simplicité et sa vision parallèle. Les sources sont difficiles à trouver, mais plusieurs petites interviews existent entre les Etats-Unis et le Japon. À sa sortie il y avait une version blanche avec un livret de photo et une version en boîtier aluminium, je pense qu'on peut encore les trouver.



Daft Punk's Electroma, 2006

Photographie : Thomas Bangalter

Je suis parti à l'autre bout d'une route il y a quelques mois. Une fois au bord de la mer, je me suis demandé si je n'étais pas arrivé contre une barrière. Alors j'ai joué avec les décors que j'ai trouvé.

Cliquez sur ce lien, c'est un texte.

Et voici ma série de photographies VOIR LA MER.

En parlant de cinéma et de Californie, lisez mon billet sur le film de Tom Ford : A Single Man est une photographie !


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