15 mai 2014

LOST IN TRANSLATION EST UNE PHOTOGRAPHIE !

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Sofia Coppola expliquait à son père préférer tourner Lost In Translation en pellicule qu'en digital, « parce que ça semble plus romantique »*. Chez elle, on a souvent dit que les jeunes filles qui s'ennuient étaient une mise en abîme de sa propre jeunesse hollywoodienne. Pour Lost In Translation, certains ont avancé que le personnage de Charlotte était autobiographique parce qu'elle était mariée au photographe et réalisateur Spike Jonze. Ce qui signifierait qu'on rêve tous d'un ailleurs... L'autre bout du monde, ou l'envers de la Terre, où nous ne pourrions avoir aucun repère : heures, espaces, langues, écritures, culture, repas... Lost In Translation se passe ainsi à Tokyo. Bob et Charlotte sont perdus dans une ville où ils ne trouvent pas le sommeil. Ils se croisent, cherchent à se croiser puis se fréquentent, lui est en fin de carrière, elle se cherche : leur histoire est précisément romantique. Voici en deux reflets une tentative de représenter Tokyo la Romantique, d'abord parce qu'elle symboliserait le rêve, puis parce qu'elle porterait cette part de poésie.

Lost In Translation, 2003

TOKYO EST UN RÊVE

La carton de générique, inspiré des peintures de John Kacere, nous accueille avec Charlotte allongée sur le côté, nous tournant le dos. Elle porte une culotte rose et un maillot gris. Girl next door. Puis le film ouvre de nuit, sur Bob se réveillant dans son taxi à l'entrée de la ville. Les publicités animées sur les façades de la rue produisent une lumière forte. L'acteur se voit sur une publicité Suntory gigantesque, il se frotte les yeux. Très vite un problème se pose : comment dormir, entre la nuit fourmillante et le décalage horaire ? Il rencontre ainsi Charlotte au bar de l'hôtel, qui a le même souci. Plus tard au détour du sauna, puisqu'ils se sont croisés quelques fois, Charlotte lui propose de l'accompagner en ville, rejoindre son ami Charlie. Ils passent la nuit à arpenter les bars, appartements et karaoké de la ville dans des ambiances lumineuses très douces et pour peu, oniriques.
Dans ce plan illustré, Charlotte et Bob rentrent à l'hôtel en taxi et Bob dort déjà. Le début du chapitre est composée de plans nocturnes plus ou moins flous de paysages urbains, des ponts par exemple – Sofia Coppola a reconstitué certains plans d'après des photographies qu'elle avait prise de Tokyo. Il semble que Sofia Coppola soit l'auteure de ce plan dirigé par Lance Acord – déjà présent depuis Lick The Star (1998) et aux côtés de Spike Jonze - orienté depuis l'extérieur de la voiture vers la portière, qui filme le visage de Charlotte au travers de la vitre colorée. Comparé à un travelling classique, qui aurait filmé directement les façades depuis la voiture, ce contre-champ montre le taxi, la rue, le reflet des abords et des néons, et Charlotte : comme un plan d'ensemble compact et pluridimensionnel.
Charlotte contemple maintenant les enseignes lumineuses sur les façades des immeubles. Elle-même au ras du sol, elle lève les yeux vers les stries de lumières tentaculaires. Comme pour plusieurs scènes, ce sont les reflets qui sont filmés. On voit à la fois ce qu'elle voit et ce qu'elle ressent sur son visage. Elle regarde un instant Bob. Ainsi reflétées sur la vitre arrière du taxi, les lumières deviennent des phosphènes, des taches colorées géantes qui dansent devant nous quand on cligne des yeux. Bob dort, les néons glissent sur son visage, la nuit est enfin un souvenir paisible où elle sent la présence de quelqu'un : Charlotte se noie finalement dans ses songes. Le plan de fin suit Bob qui la porte jusqu'à sa chambre ; un sentiment est désormais certain : il se passe quelque chose de nouveau entre eux.



Lost In Translation, 2003

TOKYO EST POÉTIQUE

Nous pourrions dire beaucoup de choses sur la façon de filmer un double vitrage à cause de la diffraction de la lumière à travers le verre et l'air, bref... Mais toute la romance se crée encore une fois dans la projection des personnages : la caméra en surplomb du lit, tournée vers l'extérieur, filme leurs reflets en plongée dans la vitre. Une simple lampe de chevet les éclaire par l'arrière, la télé émet une lueur bleue sur leurs visages. Loin dans les rues, les lumières ne sont que des points translucides. Tous les plans de chambre du film, même les plus délicats, sont filmés directement ; on pense à cette très belle série de portraits de Charlotte sur son lit, se maquillant ou accrochant une suspension en papier. Filmer les personnages montre ce qu'il se passe réellement. On note une première étape subjective, lorsque la caméra très proche oscille dans le dos de Charlotte, assise sur l'appui de la baie vitrée.
Au début de ce chapitre, tandis qu'elle tourne dans sa chambre d'hôtel, Charlotte reçoit un télégramme lui demandant si elle dort. Dans le plan suivant, installés sur le lit de Bob comme deux adolescents, ils regardent la télé en buvant du saké pour combattre l'ennui. Un nouvel échelon de sentiment se présente : ne pas trouver le sommeil seul et vouloir combattre l'ennui en restant avec l'autre. En filmant leurs reflets plutôt que les personnages eux-mêmes, nous basculons dans l'imagination : l'histoire nous fait espérer une idylle, une fantaisie. Leur tourner le dos et filmer leur reflet camoufle leur intimité, insinuant leur désir : c'est ce qu'on voudrait qu'il se passe. L'histoire est écrite pour ça. Un film est par essence une fiction ; ce qui se passe demeure fictif. Aller plus loin en mettant en scène des projections spatiales et émotionnelles, voilà la réussite de ce plan. En cela, considérer les points lumineux comme des étoiles et filmer techniquement un double vitrage, contient une seconde capacité, esthétique, d'une image mentale pas tout à fait claire, pas tout à fait réelle ni matérielle. Un possible, un désir, un rêve...

Lost In Translation est une sorte de rêve éveillé de deux personnes qui ne peuvent pas dormir. Errer ensemble la nuit incarnerait deux états de romance : d'abord le désir de la rencontre et de la joie de l'autre au détriment de la solitude, puis le désir de l'inconnu, du rêve ou de l'aventure contre l'ennui. C'est un sentiment de ville merveilleuse, qui reste au-delà de l'histoire de deux personnages ne se plaisant pas à Tokyo. L'histoire aurait pu se jouer ailleurs, car il reste beaucoup d'endroits où l'on ne parle pas anglais. Il est à parier qu'une fiction dans les Emirats nous emportera bientôt de manière inédite à 1km du sol. Mais ce doit justement être ce côté inattendu qui a fait de ce film un hymne à l'une des villes les plus spectaculaires de l'Orient du début XXIème siècle.

*"It feels more romantic" source IMDB

Sofia Coppola, Lost In Translation (2003)
Photographie : Lance Acord
Scarlett Johansson, Bill Murray


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© DAMIEN LAMY, PHOTOGRAPHE LYON, 2014
Initialement publié sur WWW.PHOTODAMIENLAMY.COM

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