13 mai 2014

DRIVE EST UNE PHOTOGRAPHIE !



Nicolas Winding Refn revient pour l'édition 2014 du festival de Cannes comme membre du jury ! Il a déjà été nominé en 2013 mais surtout, récompensé en 2011 pour Drive.

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C'est pendant un coup de blues dans la voiture de Ryan Gosling, que Nicolas Winding Refn a décidé de faire un film sur un type qui conduit sa voiture la nuit. La scénarisation du roman de James Sallis marqua le début de plusieurs collaborations entre les deux hommes. Ainsi Drive se passe à Los Angeles : un pilote, cascadeur le jour et conducteur pour truands la nuit, sent l'étau se resserrer sur lui lorsqu'il veut protéger sa voisine. C'est une sorte d'histoire d'amour qui tourne mal, le film jouant sur deux états : d'abord le pilote est en situation de défense, puis lorsque ça ne suffit plus, le pilote attaque. Dans un flot continu de couleurs vives, porté par une bande son tantôt pop tantôt minimaliste, un climat menaçant sous-tend le film. Une menace qui viendrait d'abord des autres, se tenant également sur leurs gardes, ne sachant pas à quel moment ils mourront. Puis une menace qui viendrait de la ville elle-même et des objets qu'elle personnifie, rues, voitures et feux tricolores en particulier. Le réalisateur rappelle à ce propos « [qu'] il se trouve que c'est un film sur un homme qui conduit une voiture, pas un film de voitures. »



LA MENACE DES AUTRES

Los Angeles est basée sur des mythes ayant tous l'air fondés : la mafia, les putes, les garages de grosses voitures, les braquages de prêteurs sur gage, Hollywood. Tous les personnages sont à peu près dans la merde. Sauf le pilote, aidant pourtant des truands à s'enfuir : son travail de nuit ne semble pas le mettre en danger autant que les autres puisqu'il conserve son anonymat. Il est maître de la situation comme dans la première scène de poursuite avec la police. Shannon, son agent et propriétaire du garage qui prépare ses véhicules, paraît bien plus vulnérable : il est en cheville avec Bernie Rose et son associé Nino. Il ne peut échapper à ceux qui le connaissent. Lorsqu'il aide le compagnon de sa voisine, la menace se rapproche d'un coup du pilote : il l'aide mais il met Irene en danger, mêlée de manière collatérale au dangereux Bernie Rose. Cherchant à la protéger elle, il doit se protéger lui-même face à un danger identifié. Le besoin de protection se transforme alors en défense puis en attaque. Au long des scènes de mort sauvages, le pilote plonge dans un deuxième état : attaquer par vengeance.
Dans la scène illustrée ci-dessus, proche de la fin du film, le pilote guette Nino jusqu'à ce qu'il remonte dans sa limousine. Le long de la côte, il percute sa voiture en surplomb d'une plage. Un plan depuis la banquette arrière montre le profil de Nino et une perspective dans l'obscurité par la portière. Démarrant en trombe, le pilote pulvérise la limousine en contre-bas. Dans le plan d'ensemble en contre-plongée depuis la plage où Nino s'est écrasé, la silhouette du pilote apparaît autant déterminée à tuer que la voiture : les phares et le pare-choc sont intacts ; les fumées projettent des faisceaux dans l'air, donnant un pouvoir invincible à la machine. Comme nous le verrons dans la seconde partie, elle devient plus nuisible que le pilote juste à côté. La course poursuite est particulièrement brève : une filature et un impact suffisent pour neutraliser le premier véhicule. Le pilote sachant exactement ce qu'il va faire, il devient le persécuteur, d'une précision absolue. Un projecteur rotatif illumine brièvement son visage, on discerne à peine l'écume de l'océan ; Nino comprend qu'il va mourir entre les mains d'une menace sortie de nulle part. Ce que révèle la concision du montage, c'est que le colossal Nino n'est pas réellement un obstacle pour parvenir au vrai monstre, Bernie. En portant son masque de doublure, le pilote sort définitivement de lui-même. Parce qu'il sait qu'il doit se plier à ses pulsions psychotiques pour survivre. Il a accepté d'être celui qui tue, celui qui menace et qu'on ne voit pas arriver (le scorpion de son blouson est subliminal). En somme, ce masque cristallise la menace générale et anonyme de l'histoire. Et d'un autre côté, plus que de ses occupants, la menace invisible semble provenir de la ville...




LA MENACE DE LA VILLE

Los Angeles. La nuit. Le climat de tension est une constante du film, où le danger viendrait fondamentalement des murs et de l'air de la ville. D'abord, le plan général en ouverture la fait ressembler à une gigantesque étendue de rues en feu. Vu des airs, le quartier de Downtown L.A. ne paraît être qu'une masse d'immeubles indifféremment noire et lourde. Les buildings reviennent en insert vus de dessus et de près, pour chapitrer le film, valorisant encore le vertige et les lueurs des rues. Dès le début de l'histoire et la course poursuite avec la police, on se sent en état de menace totale. Pendant cette scène, la caméra propose un angle principal : ce qu'on voit depuis l'intérieur du véhicule. Aucun élément de contexte ni d'angles secondaires ne permettent de s'approprier l'espace. Encore moins d'anticiper sur la présence de véhicules de police. On ne voit donc la ville que par le pare brise de la voiture – les yeux du pilote. Lorsqu'il conduit, la mise au point est très courte et les rues sont floues. D'autant que le caméra ne filme pas toujours vers l'avant. En cela, nous n'avons pas de repères géographiques, c'est la radio qui nous indique que nous fonçons au stade pour la fin du match. Quand il erre en ville comme dans un roman de Bret Easton Ellis, les feux verts lui laissent le champ libre. Mais chaque contrariété coïncide avec un feu rouge : ils marquent le visage du héros mutique, comme autant de portes sur ses pensées, des figurations. L'atmosphère sombre de la ville, les noirs profonds des intérieurs, sont possibles grâce aux caméras ARRI Alexa. Newton Thomas Sigel, directeur de la photographie, précise que leurs capteurs sont particulièrement résistants aux bruits numériques, permettant d'aller aux limites de la lumière. Il est connu pour avoir utilisé très tôt le digital sur des superproductions hollywoodiennes. Pour la diffusion au cinéma toutefois, les laboratoires ont généré des copies sur pellicules Fuji, que l'ont dit neutres en couleurs, pratiques donc pour une copie fidèle.
Le format utilisé est le nouveau cinémascope 2,40:1. Cependant, le format panoramique n'est pas utilisé pour ouvrir le champ : gros plans sur les visages, espaces confinés, scènes d'intérieur, salles de bains, ascenseur, vues conducteur, la majeure partie des plans clés sont étroits, renforçant encore l'idée d'objets aux services d'une ville anthropophage. Dans la première scène de poursuite par exemple, les voitures de police surgissent de n'importe où. Mais on ne voit aucun policier. Dans le seconde scène, une Chrysler 300C stationne à côté de la Mustang du pilote. Même constat, on ne voit personne à cause des vitres teintées. Lors de la tuerie du Pawn Shop, seule l'arme du propriétaire apparaît dans la lumière. Dans les dernières seconde du film, des ombres s'entretuent, etc. Dans la première scène exposée ici, de nuit au bord du ravin, les phares de la voiture s'allument au moment où elle démarre en trombe pour fracasser la limousine. Nicolas Winding Refn s'était interrogé sur la satisfaction à lancer une voiture de toute ses forces contre une autre. Présente et docile depuis le début entre les mains du héros, le montage et le cadrage la personnifient soudain ; elle s'approprie ce désir de mort imprégnant toute la fin du film. Ce n'est plus le pilote mais bien la voiture qui développe cette ultime agressivité hyper visuelle, rappelant Duel, Christine ou peut-être Death Proof.


Avec son esthétique multicolore, son fetish automobile, ses menaces nocturnes et son boss final, le film est considéré comme un « conte magique qui tourne au cauchemard ». Chaque épisode succède à l'autre comme autant de missions ; avec son esthétique rétro, ses lieux figés dans le temps, ses incursions d'éléments contemporains, le film paraît intemporel et finalement, Drive se rapproche de l'univers crade du jeu vidéo Grand Theft Auto, au-delà de l'histoire d'amour entre un cascadeur solitaire et sa voisine en danger.


Nicolas Winding Refn, Drive (2011)

D'après le roman de James Sallis, Drive (2005)

Photographie : Newton Thomas Sigel, ASC

2,40:1 digital, copies cinéma sur pellicule 35mm Fuji

Ryan Gosling, Carey Mulligan


Consultez l'itw : Drive without a driver, Wild Side Video, 2011


http://www.theasc.com/ac_magazine/October2011/Drive/page1.php


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© DAMIEN LAMY 2014
Article initialement posté sur www.photodamienlamy.com

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