25 avril 2014

LAST DAYS EST UNE PHOTOGRAPHIE !

Avril 1994. Voilà 20 ans que Kurt Cobain est mort. Gus Van Sant lui avait dédié un film en 2004 :

Last Days est une libre interprétation des derniers jours d'une rockstar grunge, dénommée Blake. Le parallèle avec la mort de Kurt Cobain nous incite à comparer les deux histoires. Pourtant ici point de Nirvana. Ce n'est pas un biopic. Dans ce récit, Gus Van Sant et Harris Savides nous laissent le choix : soit Blake est déjà mort, soit il va mourir. Le principe du flashback permet d'expliquer ce qui a été. Mais comment filmer ce qui est et ce qui va être ? Voici deux plan du même événement proposant à la fois deux états de mort et deux ellipses tournant sur elles-mêmes.


Last Days, Gus Van Sant (2005)

BLAKE EST DÉJÀ MORT :

Blake séjourne dans son manoir, apparemment évadé de sa cure de désintox. Reclus chez lui bien qu'hébergeant des amis, il cherche à s'isoler et se laisse flotter entre inspirations, pensées et souffrance physique.
Au matin, après qu'il soit entré dans sa chambre avec une carabine, Asia cherche Blake dans le manoir. Elle le trouve derrière la porte d'un salon, il s'effondre. La scène est très courte. Le début du plan est absolument sombre, puis la lumière entre au milieu du plan lorsque la porte s'ouvre. Les portes et les fenêtres sont des éléments récurrents du film, créant des jeux d'observateur-observé. Il y a deux phénomènes : nous sommes dans le noir, nous sommes loin dans le dos de Asia. Le plan est absolument fermé, nous repoussant en dehors, peut-être comme témoin. Tout est condensé en un plan : elle sait où le chercher, elle ouvre la porte, il tombe. Le film est résumé en une séquence. Elle demeure un instant contre le montant de la porte. Comment réagit-elle ? On ne voit pas son visage. Une coupe. Le film enchaîne avec tout autre chose. A-t-elle vraiment vu quelque chose ? Qu'a-t-elle fait ? Avons-nous vraiment assisté à la scène ? Elle pourrait prévenir les autres : « j'ai trouvé Blake derrière une porte... » Nous pourrions nous dire : « il est mort », voire « c'est comme ça qu'il est mort » puisque l'image de Kurt Cobain hante chaque plan.
Il y a trois plans où Blake demeure ainsi : sur son lit renversé en arrière, adossé à une porte, et étendu dans son abri de jardin au petit matin. Lorsqu'un plan ne comprend que cette information – je le cherche, il gît quelque part – on l'associe fatalement. D'un point de vue narratif, tout tourne autour du moment où il va mourir : dès lors qu'on est maintenu en suspens dès le début d'un film qui s'appelle texto : "Les Derniers Jours", n'importe quel signe répond à l'une des deux hypothèses : soit il est déjà mort, soit il va mourir.


Last Days, Gus Van Sant (2005)

BLAKE VA MOURIR :

Dans cette scène, Blake choisi un salon avec une télévision. Il se promène avec sa carabine, portant une robe qu'il vient d'enfiler. La première caméra est tournée de la fenêtre vers la TV, celle-ci depuis la TV vers la fenêtre. Positionnée bas, elle anticipe sur la chute très lente de Blake (un plan fixe de 1 minute 30) et crée une perspective convergeant vers la fenêtre, où la montagne s'aligne sur le papier peint en bas du mur. Harris Savides (directeur de la photographie) contrôle intégralement l'espace : il crée une perspective avec la cheminée, une profondeur de champ avec les deux fauteuils et un objectif grand angle, une fuyante avec la fenêtre et la raie de soleil et dans le même temps, écrase tout le plan en alignant le lointain – l'horizon – sur le fond de la pièce.
Blake fait un malaise, veut s'asseoir dans le fauteuil gris mais se trouve à ramper par terre. Une coupe. La caméra au sol est tournée vers la porte fermée. Il entre dans le champ et s'y adosse. Asia ouvre la porte et le fait tomber. Dans la chronologie, ce plan est tiré de la scène précédente, en contre-champ. La caméra tournée vers la porte où s'est adossé Blake nous révèle la suite : elle le redresse, referme la porte puis s'enfuit. Il se réveille. Le résultat, c'est un sentiment de mort mimée, un état de mort symbolique. Blake semble vouloir s'asseoir dans le fauteuil gris mais son corps s'écroule lentement sur lui-même. Il pend au dessus de son propre corps inerte. On dira que ses grosses chaussures sont ce qui est de plus stable. Jusqu'à ce qu'il touche le sol, il flotte au-dessus de ses chaussures lourdes et ancrées dans le sol. Un corps flottant au-dessus d'un autre corps : voici une représentation anticipée de la mort.
Ce point de vue plus intime – et ce type de flashback – est une façon pour Blake de raconter ce qui lui est arrivé aujourd'hui. Il nous détaille ce qui s'est passé tout au long de l'événement de Asia : le clip à la télé, le malaise, le fauteuil, la porte. Le plan fixe donne un fort sentiment de réalité puisqu'il n'y a pas de montage. Mais il nous empêche de nous sentir présents dans la pièce : Blake est seul dans les lieux et d'une certaine manière, ce que nous voyons, c'est l'explication qu'il nous donne de la scène de Asia. Le montage du film allant en avant, en arrière et en ellipse « autocentrée », ce flashback nous indique autant ce qu'il s'est passé, que ce qu'il va se passer. Autant que Blake et ses amis, on se prépare à ce qu'il meurt.


Voici donc une scène tournée sous deux angles, donnant la lecture sur l'intégralité du film. L'une est une hypothèse : et s'il mourait ? L'autre est une projection vécue de l'intérieur : et si je mourais ? Ce principe de flashback autocentré permet à Blake de raconter tout ce qui se passe autour d'un même temps de sa journée. Tandis que pour les autres il ne demeure à peu près que l'instant de sa mort, Blake nous livre à nous spectateurs tout le chemin dilaté de ses derniers jours.



Last Days, Gus Van Sant (2005) - 1,37:1
Photographie : Harris Savides
Blake : Michael Pitt

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© DAMIEN LAMY 2014
Article initialement posté sur www.photodamienlamy.com

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